lundi 8 novembre 2010

Extrait de "L'Amant" de Marguerite Duras, en écoutant "Older Chests" de Damien Rice.


« Un jour, j’étais âgée, dans le hall d’un lieu public, un homme est venu vers moi. Il s’est fait connaître et il m’a dit : « Je vous connais depuis toujours. Tout le monde dit que vous étiez belle lorsque vous étiez jeune, je suis venu pour vous dire que pour moi je vous trouve plus belle maintenant que lorsque vous étiez jeune, j’aimais moins votre visage de jeune femme que celui que vous avez maintenant, dévasté. »
Très vite dans ma vie, il a été trop tard. A dix-huit ans il était déjà trop tard. Entre dix-huit et vingt-cinq ans mon visage est parti dans une direction imprévue. A dix-huit ans j’ai vieilli. Je ne sais si c’est tout le monde, je n’ai jamais demandé. Il me semble qu’on m’a parlé de cette poussée du temps qui vous frappe quelquefois alors qu’on traverse les âges les plus jeunes, les plus célébrés de la vie. Ce vieillissement a été brutal. Je l’ai vu gagner mes traits un à un, changer le rapport qu’il y avait entre eux, faire les yeux plus grands, le regard plus triste, la bouche plus définitive, marquer le front de cassures profondes. Au contraire d’en être effrayé j’ai vu s’opérer ce vieillissement de mon visage avec l’intérêt que j’aurai pris par exemple au déroulement d’une lecture. Je savais aussi que je ne me trompais pas, qu’un jour il se ralentirait et qu’il prendrait son cours normal. Les gens qui m’avaient connue à dix-sept ans lors de mon voyage en France ont été impressionnés quand ils m’ont revue, deux ans après, à dix-neuf ans. Ce visage-là, nouveau, je l’ai gardé. Il a été mon visage. Il a vieilli encore bien sûr, mais relativement moins qu’il n’aurait dû. J’ai un visage lacéré de rides sèches et profondes, à la peau cassée. Il ne s’est pas affaissé comme certains visages à traits fins, il a gardé les mêmes contours mais sa matière est détruite. J’ai un visage détruit. »

mercredi 3 novembre 2010

La Sonate Pathétique pour Piano n°8, deuxième mouvement de Beethoven.



Quelques poèmes de Anna Akhmatova.



Rien ne t'a promis à moi

Rien de t’a promis à moi : ni la vie, ni Dieu,

Ni un mien pressentiment secret.

Pourquoi, la nuit, devant le sombre seuil,

Hésites-tu ? le bonheur fait-il mal ?


Je ne vais pas sortir, te crier : « Sois l’unique,

Reste avec moi jusqu’à l’heure de la mort ! »

Je ne fais que parler, de ma voix de cygne,

Avec la lune injuste.



Pendant une nuit blanche.


Je n’ai pas fermé la porte

Je n’ai pas allumé de bougie.

Tu ne le sais pas. Fatiguée,

Je n’arrive pas à me coucher.



Voir comment disparaissent les lueurs

Du couchant dans l’ombre des pins,

M’enivrer du son d’une voix

Qui ressemble à la tienne.



Savoir que tout est perdu,

Que la vie est un enfer.

Oh ! J’étais persuadée

Que tu reviendrais.


L'amour.


C’est parfois un serpent magicien,
Lové près de ton cœur.
C’est parfois un pigeon qui roucoule,
Sur la fenêtre blanche.

C’est parfois sous le givre qui brille
La vision d’une fleur.
Mais il mène, en secret, à coup sûr,
Loin de la joie tranquille.

Il sait pleurer si doucement
Dans la prière du violon,
Il fait peur quand on le devine
Sur une lèvre encore inconnue.